commentaire du roman "Le Roi du djadjo"
par M. DUVAL Professeur titulaire de sociologie à l'Université Paul Valerie de Montpellier
Un soir que j'étais fatigué, trop pour prendre mon livre d'histoire en cours, je me suis mis à feuilleter le vôtre, dans mon idée c'était seulement pour le regarder un peu et non pour le lire, comme il me plaît de le faire avant mes lectures. Ensuite, Je n'ai pas pu le quitter et je suis allé jusqu'à m'endormir de fatigue dessus, je ne voulais pas le lâcher ! Félicitations ! Ce livre, d'abord dans la forme, donne une écriture plus souple que le 1er, le style est bien travaillé et il est agréable à lire. Quant au fond, il n'est rien de moins que remarquable. Je pense que vous êtes un homme d'avant-garde, éclairé par la rationalité et votre vision est alimentée par une connaissance sociologique très pertinente.J'ai adoré votre livre, vraiment. Je regrette qu'il ne soit pas publié en France pour lui assurer une plus grande diffusion, avez-vous tenté? Je sais que c'est difficile avec la quantité de romans que reçoivent les éditeurs, mais quel dommage.
Si vous me permettez, j'ai néanmoins une critique mineure à faire sur le fond : je ne pense pas que ce soit l'Afrique qui est ainsi telle que vous la dépeignez, mais l'Humanité pour une grande part et je crois qu'en Occident il y a la même irrationalité mais elle se présente sous des formes différentes. Toutes les croyances sont par définition irrationnelles et je peux vous assurer qu'il y en a ici, indépendamment de la chute du christianisme qui ne représente plus que 3 ou 4% de pratiquants. La chute des grandes religions n'implique pas celle des croyances. J'ai travaillé ces dernières années sur le phénomène des sectes et sur son usage par le pouvoir… Quand mes étudiants prenaient avant l'examen de fin d'année des "médicaments" supposés les aider dans leur épreuve, même si ces attrapes nigauds venaient de laboratoires pharmaceutiques, il n'en reste pas moins qu'on se situe dans le registre de la croyance. Et ce collègue, professeur d'ethnologie à l'université qui tente de me dissuader de faire soutenir une thèse de doctorat au prétexte que c'est un vendredi 13 ! Oui, c'est l'affligeante vérité.
Croire, ou ne pas croire, n'est pas seulement un acte volontaire. Cela dépend de 2 facteurs, l'un qui vient de l'histoire individuelle, l'autre de l'histoire collective. Lorsque j'ai étudié un nouveau mouvement religieux en France, j'ai constaté que la majorité des adeptes avaient connu une mort anormale, je veux dire l'enfant qui, en rentrant de l'école, découvre le cadavre d'un de ses parent à la maison. Cela est insupportable car la norme est que les parents doivent mourir avant leurs enfants. Il y a alors 2 attitudes possibles, ou bien l'enfant a la force psychologique qui lui permet de surmonter l'épreuve, il finit alors par accepter l'horrible réel et il fait son deuil, c'est-à-dire qu'il va finir par accepter de vivre ainsi avec ce manque. Ou il n'a pas cette force et dans ce cas, il puise dans des croyances la force qui lui permet de vivre en pensant que ce parent n'est pas mort mais qu'il est, ou au paradis, ou qu'il va renaître, etc. C'est la négation du réel par nécessité. Ce n'est pas pour rien que les marchands de croyances tournent beaucoup autour de la mort et du malheur, c'est là le nœud de ce commerce. Mais si l'histoire individuelle joue un grand rôle, l'histoire sociale plus encore. En effet, vivre dans une société, ou dans un groupe d'appartenance, qui adopte majoritairement un ensemble de croyances, c'est devoir l'adopter sans même y penser la plupart du temps par la pression sociale : plus de gens pensent une chose, qu'elle soit réelle ou totalement fausse, et plus elle apparait comme étant vraie, fondée. L'étendue d'une croyance joue comme une sorte de "preuve" de vérité, même si cela bien sûr n'est qu'un processus idéologique. Ainsi, j'ai vu beaucoup de Gurunsi lorsque je travaillais avec eux qui, vivant à Ouagadougou, n'adhéraient plus tellement à la sorcellerie villageoise, mais dès qu'ils étaient de retour au Village, ils reprenaient cette croyance sur le chemin du village. En voiture, alors que je me rendais dans "mon" village depuis la capitale, un jour l'un d'eux me confia : "quand j'approche, je sens que ça me reprend". La décision de croire ou pas n'est donc pas du seul ressort de la volonté, mais elle dépend en partie de la détermination sociale et aussi de la conscience que l'on a de celle-ci. Bourdieu disait fort justement que nous sommes déterminés par la société, elle nous fait penser et agir de telle ou telle manière, mais le jour où l'on en prend conscience, par exemple par l'accès à la connaissance sociologique, alors on redevient maître de son existence parce que l'on comprend ses propres déterminations et l'on peut alors s'en affranchir. Et vous, Béli Nébié, vous avez réussi à la force de votre pensée, à vous affranchir de ces systèmes de croyances, voilà le fondement de mon admiration car cela n'a rien de facile.
J'aimerai beaucoup avoir l'occasion de discuter avec vous, peut être si un jour j'ai la possibilité de revenir au Burkina ou vous en France ? Ma porte est grande ouverte.
Avec mes pensées très amicales et tous mes encouragements à poursuivre votre œuvre. Aquénellé zanzan !
Maurice Duval
Sociologue